mardi 15 mars 2016

Les statues du Palais provincial de Soria relisent l'histoire de l'Espagne


            Si vous lisez régulièrement le blog, vous n’ignorez pas que je fonctionne par séries thématiques d’articles. Aujourd’hui nous nous rendons à Soria découvrir la diputacion provincial, quel lien avec l’article précédent sur la statue de San Lazaro à Palencia ? Cette bâtisse a la particularité de se distinguer par les huit statues qui ont été placées devant la façade. Là encore un hommage particulier qui mérite d’être expliqué.

            L’institution s’installe en 1863 dans le bâtiment actuel. Il est largement rénové en 1959. Les sculptures sont commandées à l’artiste Federico Coullaut-Valera (1912-1989), et sont installées au début des années 1970, hommage à de grands personnages de la région. On pourrait finalement presque y relire les grandes lignes de l’histoire espagnole moyenâgeuse et moderne (interprétation qui n'engage que moi). Je vous les présente dans l’ordre chronologique et non de positionnement comme la plupart de autres guides:


            - L’Espagne du Cid avec « El Juglar del Cid », personnage légendaire, dont on ignore s’il a la moindre réalité historique. Peut-être est-ce l’auteur du poème, El cantar del Mio Cid, une des chansons de gestes les plus anciennes de l’histoire espagnole, qui fonde le mythe du Cid. Ce personnage pourrait donc être l’anonyme qui mit en mots cette histoire. On suppose qu’il fut originaire de la région de Gormaz, voilà pourquoi la province de Soria l’a récupéré pour sa série de statues. 


            - L’Espagne de la reconquête  avec San Pedro de Osma, un français venu en Castille au XIe siècle. En effet ce dernier était originaire du royaume de France, de Bourges (parfois Béziers selon les traditions), il fit sa formation religieuse à Cluny. Appelé en Espagne à Tolède il fut ensuite nommé évêque à Osma, zone récemment reconquise à la foi chrétienne. Il lance donc la mise en place d’un nouveau diocèse et d’une nouvelle cathédrale celle de Burgo de Osma, qu'il tient dans les mains, il est aujourd’hui le parton de la ville. Il mourut à Palencia en revenant de l’enterrement du roi après une longue carrière hispanique.   


- L’Espagne des rois castillans avec Alfonso VIII, roi de Castille au XIIe siècle. Je ne reviendrai pas longuement sur ce roi et ses liens avec Soria, sa ville natale, puisque j’en ai déjà longuement parlé dans l’article sur l’église Santo Domingo, que je vous invite à relire. Grand père de Saint Louis, descendant du Cid, roi trop jeune, il vécut à Soria durant son enfance pour tenter d’échapper aux luttes de pouvoir et plus simplement à la mort. Aujourd’hui c’est une des fiertés de la ville d'avoir abrité un prince qui finit par monter sur le trône espagnol. 


- L’Espagne des cisterciens avec San Martín de Finojosa. Ce jeune noble du XIIe siècle, né dans un petit village de la province à la limite de l’Aragon prit l’habit religieux à 18 ans. Il rejoint les cisterciens qui se sont installés dans la région quatorze ans plus tôt et devient abbé à 26 ans. Il impulsa une bonne dynamique au monastère de Santa Maria de la Huerta, qui existe encore aujourd’hui, et consolida la communauté cistercienne. Vingt ans plus tard il est nommé évêque de Siguenza, poste auquel il n’aspirait pas particulièrement. Quelques années plus tard il renoncera à sa charge pour retrouver une vie monacale plus en adéquation avec ses aspirations morales et religieuses. Son humilité était reconnue par tous. Les différents miracles qui lui furent attribués après sa mort, permirent de le canoniser.  


            - L’Espagne des conquistadors avec Francisco Lopez de Gomara, né dans le village du même nom, à une trentaine de kilomètres de Soria, vers 1510. Ce prêtre fut un proche d’Hernan Cortes, conquistador de renom, et vécut avec lui à Valladolid. A la fois secrétaire, et après sa mort, auteur de textes biographiques sur ce personnage historique, il devint grâce à ces contacts un grand historien des Indes (Amérique). Il ne se rendit jamais en Amérique lui-même. Il voyagea dans le cadre de sa formation en Italie, et une fois en Flandres pour son ouvrage sur Charles Quint. Il connut un certain succès, puisque ses livres furent traduits de son vivant en italien et en français. Il mourut après 1560, la dernière trace de son existence étant son testament rédigé à Soria. 


            - L’Espagne des fondateurs jésuites avec Diego Lainez, qui faillit bien, devenir pape alors qu’il était issu d’une famille juive récemment convertie au catholicisme. Né en 1512 dans le village d’Almazan, au sud de Soria, il fait ses études dans la prestigieuse université  d'Alcala de Henares, où il rencontre Ignace de Loyola. Il retrouve ce dernier à Paris quelques années plus tard, leurs chemins ne se séparent plus, ordonnés prêtres la même année, il sera l’un des premiers jésuites, quand Ignace fondera la Compagnie de Jésus (1540). Il finira par être largement reconnu par la hiérarchie ecclésiastique, notamment pour ses écrits au concile de Trente, au point qu’il fut presque élu Pape, mais il se déroba avant l’issue du vote. Diego Lainez est méconnu, même par les spécialistes de l’histoire religieuse, les biographies de ce théologien les plus récentes remontant aux années 1940. Soria est donc allée à contre sens de l’Histoire en lui dédiant une statue et le faisant sortir de l’ombre du fondateur de la compagnie de Jésus. Cette statue vous a plu ? Vous trouverez exactement la même dans le village natal de Diego Lainez.    


            - L’Espagne de l’Inquisition avec Maria de Agreda, une sainte, née dans le village dont elle porte le nom en 1602, dans la province de Soria. Elle entra, comme beaucoup de jeunes femmes, dans les ordres, puisque sa famille entière décida de rejoindre les franciscains, sa mère et elle fondent un couvent de femmes, tandis que son père et ses frères rejoignirent un couvent d’hommes. Cette jeune femme fit une carrière monacale fulgurante puisqu’elle fut abbesse à vingt-cinq ans. C’est à cette époque qu’elle aurait eu ses premières visions mais elle n’en témoigna que bien plus tard par peur qu’on ne la crut pas. De ces visions, elle tirera des écrits dont le plus célèbre est La Cité mystique de Dieu. Mais l’inquisition se méfie de cette femme, et mène même des enquêtes à son sujet, ce qui bien après sa mort retardera sa béatification. Le roi, Philippe IV, en personne viendra la rencontrer, et entretiendra avec elle une importante correspondance. Elle décède en 1665.


- L’Espagne des reliques avec Santa Cristina de Bolsena. Cette sainte italienne, du IIIe siècle, ne mit jamais les pieds en Espagne, mais une de ses reliques serait conservée à Burgo de Osma, dans la province de Soria. Martyre enfant, elle meurt très jeune, après une série de tortures dans je vous passe les détails. Au XVIIIe une relique parvient, depuis Rome, à Burgo de Osma, aujourd’hui. Sainte Christine y a une place particulière.
            Ces huit statues devant le siège provincial, permettent de voir la ville comme une capitale qui regarde vers chaque village, chaque personnage qui y est attaché, du simple moine au roi. On prend aussi la dimension de la culture catholique si forte en Espagne quand on constate que la plupart ont occupé une fonction religieuse. Initiative étonnante que ces statues, dont je n’ai pas trouvé les critères de sélection, mais on ne peut que constater que Soria est toujours fière de rappeler au bon souvenir de ses touristes les célébrités qui l’on fréquentée comme Machado ou Gerardo Diego.
            Bonne promenade à Soria
           
BENAT-TACHO Louise « Lopez de Gomara : un chroniqueur entre deux mondes », Cornucopia, le 11 février 2014 [Disponible en ligne, consulté le 26 février 2016]

OBERHOLZER Paul « Le Père Diego Laínez jésuite » Jésuite de la province de France [Disponible en ligne, consulté le 26 février 2016]

POUTRIN Isabelle « Le voile et la plume: autobiographie et sainteté féminine dans l'Espagne moderne » Casa de Velázquez, 1995

4 commentaires:

  1. Ces statues sont superbes et quel travail !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, c'est une idée d'hommage impressionnante, et qui est relativement ignorée des touristes de passage à Soria.

      Supprimer
  2. J'imagine que cet article a été un sacré travail, bravo !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, oui c'est un peu long à préparer mais c'est passionnant.

      Supprimer