samedi 12 août 2017

L'héritage de Francisco de Vitoria, figure de l'Université de Salamanque


            Retour dans les villes, dans celle que j’aime le plus, Salamanca, tant qu’à faire devant l’un des plus beaux monuments de la ville, San Esteban. Là trône une statue, un peu semblable à celle de Fray Luis de León qui occupe, elle, la place de l’université. Devant la façade du couvent de San Esteban c’est un autre religieux, intellectuel, qui est représenté. Je vous l’avais promis lorsque je vous avais présenté le monument dédié aux dominicains de Burgos, je reviens donc sur le destin de Francisco de Vitoria.

             On pourrait penser que le personnage est originaire de la ville basque, mais on penche aujourd’hui pour la ville de Burgos.  Longtemps objet de débat, la localisation de sa naissance, dans les années 1480, ne semble plus faire de doute malgré son nom. Il est probable que sa famille soit effectivement originaire de Vitoria, mais qu’elle était en réalité installée à Burgos lors de la naissance du petit Francisco. Aujourd’hui, au vu des documents d’archives c’est vers cette hypothèse qu’on penche principalement. Vers vingt-ans il intègre l’ordre de dominicains à Burgos. Sa solide formation intellectuelle acquise, il part compléter ses études à l’étranger, presque un erasmus de l’époque, dans une des plus grandes universités, la Sorbonne, à Paris. De retour en Espagne, il est affecté au collège San Gregorio deValladolid en 1522, il approche alors la quarantaine. Alors que fait donc sa statue à Salamanque ? Le point d’orgue de sa carrière se caractérise par l’obtention d’une chaire de théologie à l’université de la ville, en 1526. Il va occuper ce poste pendant près de vingt-ans. A la fin de sa vie on lui propose de devenir conseiller des rois d’Espagne, Charles Quint et Felipe II. Il déclina l’offre, déjà malade il n’en n’a pas le courage. Souffrant de la goutte, il s’éteint le 12 août 1546.


On considère que les legs les plus importants de son œuvre sont les textes qui posent les bases du droit international dont nous avons hérité aujourd’hui. Je vais essayer d’aller un peu plus loin que la plupart de ces biographies sur internet qui s’arrêtent à cette phrase. Sa réflexion est basée sur l’actualité de son époque, quel droit ont les espagnols sur les terres et les peuples indigènes de l’Amérique ?  Pour lui, la justice espagnole n’est pas forcément extensible au reste du monde. La loi du roi est faîte pour la société espagnole, en tant que théologien il doit rechercher un droit applicable à des sociétés radicalement différentes. Le théologien affirme que ni le roi, ni le pape, ne disposent d’un droit divin leur permettant d’imposer leurs vues, leurs lois, l’esclavage à ces peuples. Il développe néanmoins la théorie de guerre juste, c'est-à-dire dans le cas présent, que les espagnols peuvent combattre les Indiens qui empêcheraient les leur de se convertir, qui procéderaient au sacrifice humain d’innocents, qui exerceraient une tyrannie sur eux. La chercheuse Edda Manga résume ainsi la pensée de Vitoria, relativement moderne pour l’époque : « La seule raison acceptable d’engager une guerre est de résister ou de punir une injustice. Dans la ligne de sa précédente conférence, il soutient qu’il n’est pas acceptable d’entamer une guerre sur la base d’une différence de religion, sur le souhait d’étendre un empire ou la poursuite de l’honneur ou du profit ». On trouve chez le dominicain à la fois les germes du « droit des peuples à disposer d’eux mêmes » et des interventions étrangères dans certains pays encore d'actualité. En résumant sa pensée je la simplifie mais j’espère éclairer un peu votre lanterne, sur le père du droit international.


Il ne parait donc pas étonnant que ce personnage ait inspiré la ville où il a passé deux décennies. Un jour de septembre 1975 est inauguré ce monument face au couvent des dominicains. Vêtu de son habit religieux, un livre sous le bras, Francisco marche vers l’université. Le sculpteur Francisco Toledo, professeur à l’école supérieure des beaux-arts, propose une statue sobre. Si, comme d’autres statues de la ville, elle subit parfois des dégradations, elle s’affiche surtout sur les photos des touristes, puisque la place du concile de Trente voit passer de nombreux curieux allant visiter les différents convents, celui de Las Duenas et de San Esteban.
Bonne promenade à Salamanque et à bientôt     

Sources :

HERNADEZ R. « Biografía de fray Francisco de Vitoria » dominicos.org, [disponible en ligne]

GONGORA F. « Fray Francisco de Vitoria era… de Burgos » elcorreo.com le 2 juin 2015 [disponible en ligne]


MANGA E., « Le retour de la guerre juste. Francisco de Vitoria et les fondements juridiques de la domination globale » L'Homme et la société, 175, 2010

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